Dans l’actualité, les soignants prennent progressivement la parole pour dénoncer leurs conditions de travail : manifestations, pétitions… Pourtant, nombreux sont ceux qui faisaient le constat d’une situation préoccupante il y a plusieurs années déjà.
1 – Des facteurs récents ?
Le dysfonctionnement hospitalier sont liés à plusieurs facteurs. Parmi eux, on peut tout d’abord citer les ce sont des facteurs organisationnels. Ceux-ci impactent directement sur la façon dont les professionnels de santé prennent soin des patients. Ces faits, constatés et subis par un très grand nombre d’infirmiers, étaient déjà relatés par Claude Curchod en 2009. Dans son ouvrage, l’infirmier explique : « les institutions de soins vivent de profondes mutations (…) elles mettent les soignants sous pression ». Il explique que cette pression exercée sur les professionnels de santé par les responsables politiques est liée aux contraintes financières (liées aux déficits budgétaires, endettement des communautés publiques, difficultés d’une partie de la population à payer ses cotisations maladie…). Un paradoxe lorsque l’on exerce un métier dont l’objectif est le soin et non la rentabilité.
La gestion actuelle impacte donc directement les professionnels dans l’organisation des soins : « diminution des durées de séjour, augmentation de la charge de travail, suppression des réunions indispensables au travail en équipe sont, parmi d’autres, les conséquences des modes de gestions actuels. Le manque de personnel médical et infirmier – et son corollaire, le manque de temps – sont des facteurs régulièrement cités pour expliquer la qualité insuffisante de certaines prestations ». Ajouté à cela un manque de reconnaissance financier, et vous obtenez des situations de plus en plus dysfonctionnelles.
2- Les impacts
Moins de soins relationnels, moins de sens
Ce contexte de gestion impacte inévitablement les relations humaines, en dépit des fondements mêmes des professions soignantes. Claude Curchod (2009), dans son ouvrage, développe également l’idée que ce contexte actuel met à mal les relations entre soignants et soignés : « « l’hôpital entreprise » selon l’expression de Marie de Hennezel a progressivement pris le pas sur les approches de la relation humaine. La gestion par flux tendu est devenue la norme dans les établissements de soins, sans que les conditions requises soient remplies. Son retentissement sur la qualité des prestations et des relations est parfois important. (…) Cette réalité est constante dans l’ensemble des structures de santé ». Ce phénomène constitue l’un des principaux motifs de reconversion professionnelle, les soignants ne trouvant plus le sens.
Sur ce sujet, Marie de Hennezel, psychologue, nous interpellait déjà à ce propos en 2004. Elle posait ses constats sur la situation de l’époque en interrogeant les professionnels de santé (médecins, infirmiers…) et les patients afin d’être au plus près de la réalité. Ses propos font écho à bon nombre d’articles et d’ouvrages : « l’hôpital, ce lieu traditionnellement dévolu à l’accueil des plus vulnérables, est sérieusement mis en cause dans sa fonction d’hospitalité depuis qu’il se réfère à des critères comptables au détriment des besoins humains des malades et des soignants. (…) J’ai donné la parole aux malades, aux médecins, aux soignants qui se heurtent aujourd’hui à la même souffrance : le manque d’humanité, la pauvreté relationnelle. Un grand nombre de lettres, de témoignages, de rencontres m’ont permis de constater le processus déshumanisant qui partout lamine les efforts de ceux qui tentent de préserver les valeurs du soin ». Un ressenti que les soignants ne sont donc pas seuls à partager.
Une prise en charge moins qualitative ?
Elle explique également que ce mode de fonctionnement actuel altère la prise en charge de l’ensemble des besoins du patient « Nous, soignants, tendons à prioriser les soins dans un souci de remplir les contraintes institutionnelles : administratif, réalisation et validation des actes sur prescription… Cette pratique dans une intention d’agir au mieux, met en marge les priorités du patient qui sont bien souvent différentes (appeler les proches…) et qui sont bien souvent génératrices d’anxiété ou d’angoisse ». En effet, cette impression de ne plus être capable de prendre en soin comme il se doit les patients conduit au risque de mal-être au travail.
Enfin, ce contexte conduit à se questionner autour de la déshumanisation des soins, la perte de sens. Pierre Fortin et Pierre-Paul Parent ne sont pas issus de professions médicales ou paramédicales mais leurs points de vue complémentaires en date de 2004 enrichissent certainement la réflexion. Dans leur ouvrage, ils évoquent notamment le contexte de soin, tout en invitant les professionnels à se questionner : « le contexte actuel amène parfois les intervenants à se considérer davantage comme de simples exécutants (…) dans un tel contexte, quelle est la meilleure action possible à poser ? Comment alors s’assurer d’agir dans le meilleur intérêt de la personne ? Comment assurer une certaine cohérence entre les actions proposées, les principes défendus et les objectifs visés par l’intervention ? ».
Marie de Hennezel (2004) fait également le lien entre contrainte institutionnelle et déshumanisation : « en somme, ce sont les facteurs organisationnels, principalement le mode de gestion hospitalier actuel qui joue un rôle décisif dans la manière et les moyens de s’organiser et de prendre en charge les patients. Ces contraintes ont un impact considérable, tendant à mettre en marge l’humanisation des relations et des soins ». Ce contexte de soin s’observe indépendamment du service, majoré par le facteur humain en lien avec la population accueillie.
Pour mieux comprendre les pratiques actuelles de soin, il est essentiel d’en questionner son contexte. En somme, les difficultés de l’hôpital ne datent pas d’hier. La situation a simplement continué à se détériorer, ayant des répercussions organisationnelles et humaines. Cette observation permet de mieux comprendre les facteurs et conditions entrant en jeu dans la prise en charge du patient.
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